4ème partie

Le mystère de la femme cachée
La mode est venue
d'outre-Atlantique : les stars américaines ont appris
aux spectateurs du
monde entier que
l'on ne pouvait décemment être
tout en haut du fronton des cinémas sans multiplier les excentricités, dépenser des fortunes,
vivre dans des palais et abonder
en caprices.
A cet égard, les vedettes françaises se sont montrées plus raisonnables, à commencer par
Fernandel, homme simple de
goûts comme de manières. Ses
plats préférés? La bouillabaisse
au safran et la soupe de poisson.
Collectionneur, il rassemble les
éditions originales des œuvres
de Molière parce qu'il rêve de
jouer Molière un jour (quelques
années plus tard, Bernard Blier
entamera la même collection).
Mais, lecteur, il se délasse avec
les aventures du Saint de Leslie
Charteris, même si son auteur
préféré est Marcel Pagnol.
On lui demande quel estl, selon
lui, l'événement le plus important du siècle. Il répond sans la
moindre hésitation : « Pardine,
la naissance de mes trois
enfants! »
L'acteur adulé qu'il
est ne se perd pas dans la
contemplation de son propre
nombril et sait aussi être groupie : il admire ainsi Irène
Dunne et Gary Cooper et il tire
son chapeau devant Raimu qui
aura bien souvent été son partenaire, comme dans La Fille du
puisatier ou Les Gaietés de l'escadron.
Pour lui, avant la télévision, le
téléphone, la Sécurité sociale, la
conquête de l'espace ou l'ouvre-boîtes électrique, une invention,
et une seule, justifie notre civilisation : « Les moulinets pour les
cannes à pêche. »
Il dit cela le
plus sérieusement du monde.
Car Fernandel est un « fondu »
de pêche.
Dès qu'il le peut, il s'échappe à
L'Oustau de la Mar (la « Maison
de la Mer »), une belle petite
maison claire et sans ostentation
qui domine le paisible port de
pêche de Carry-le-Rouet où est
ancré son bateau, le Caméra.
« Les plus belles heures que je
passe, c'est entre le ciel et l'eau,
dans ce silence peuplé du murmure des flots, confie-t-il. Si je
n'avais pas été vedette de
cinéma, j'aurais été marin... Je
n'étais pas fait pour tant de
bruit. Il y a des moments où l'on
se demande si l'on mérite tout
ce tam-tam... Je pense à ceux
qui ont du talent et qui ne sortiront pas de la médiocrité. C'est
souvent injuste, la vie... Au
fond, vous voyez, il faut peu de
choses pour rendre un homme
heureux. Une belle pêche, une bonne bouillabaisse en famille...
La seule chose, c'est qu'il y a des
lendemains. Il faut toujours y
penser et on ne sait jamais le
temps qu'il fera. »
Comme Cadet Rousselle, Fernandel a trois maisons : Les
Mille Roses, à Marseille («J'ai
offert Les Mille Roses à ma
femme pour nos dix ans de
mariage. Depuis, je fais sans
cesse des aménagements ») ;
L'Oustau de la Mar, à Carry-leRouet; et son « cinq-pièces-tout-confort », à Paris. « C'est vrai,
reconnaît-il, je gagne beaucoup
d'argent. Mais je l'emploie sagement. Je pense à mes enfants. Je
fais des économies pour eux.
Vous comprenez, la terre ou la
pierre ne se déprécient jamais. »
Les gens heureux, dit-on, n'ont
pas d'histoire. C'est le cas de
Fernandel. Et il s'en excuserait presque... « Les journalistes
prétendent que les artistes sont
frivoles et volages. C'est peut-être vrai. Dans ce cas, je suis
l'exception qui confirme la
règle. » Car jusqu'à sa mort, en
1971, il ne va connaître qu'un
seul amour, celui qu'il voue à
son épouse, Henriette, née d'un
couple de commerçants de la
rue des Trois-Mages, à Marseille. Pendant quarante-six ans,
ils vont mener une existence
sans la moindre aspérité.
Un jour, cependant, un hebdomadaire annonce un reportage
exclusif sur "la femme cachée
de Fernandel". Et tous de
s'émouvoir dans l'entourage du
couple Contandin. Fausse
alerte! En réalité, cette pseudo
« femme cachée » n'est autre
que... l'épouse légitime mais
fort discrète de l'acteur, photographiée à son insu tandis
qu'elle faisait des courses. ■
|